lundi 8 février 2010

Outrenoir

Je ne connais pas grand' chose à la peinture contemporaine, et rien à la peinture abstraite : je me laisse porter par l'émotion, et je n'en ai pas beaucoup devant les formes géométriques qui me semblent sans élan, sans vie.


Mais la peinture de Pierre Soulages, son travail sur le noir, m'intriguait. Pourquoi se passionner pour cette couleur, ou plutôt cette absence de couleur ?


Je suis allée voir l'exposition rétrospective de son oeuvre présentée actuellement au Centre Pompidou à l'occasion des 90 ans de l'artiste. 90 ans et la passion intacte, toujours en création, en désir et en recherche, l'homme déjà est fascinant. Et son oeuvre passionnante.

Soulages, « peintre du noir et de la lumière », a toujours été attiré par cette couleur. Mais il l'a apprivoisée peu à peu, en une longue recherche, au fil de 60 années d'expérience en peinture, depuis ses premières émotions et découvertes.

Il raconte comment, étant enfant, il a été longtemps intrigué par une tache noire sur un mur, avant d'y voir un jour la forme d'un coq, si vive qu'il croyait vraiment que l'on avait peint un coq à la place de la tache. Retrouvant la tache le lendemain, il comprit qu'il avait lui-même vu, créé l'image du coq.

Pus tard, adolescent, il découvre dans la peinture figurative l'émotion que lui procure le tracé du pinceau, l'élan de ce mouvement, plus que le sujet représenté qui ne le touche pas autant.


Il sait alors qu'il va s'orienter vers la peinture abstraite, s'attacher à rendre cette émotion, dans une longue quête de sens, intégrant le spectateur comme acteur de l'oeuvre.

Afin de laisser le spectateur libre d'interprétation, il ne donne pas de titre à ses toiles : « La réalité d'une oeuvre, c'est le triple rapport qui se crée entre la chose qu'elle est, celui qui l'a produite et celui qui la regarde. »

Mais pourquoi le noir ?

« Il est l'absence de couleur la plus intense, la plus violente, qui confère une présence intense et violente aux couleurs, même au blanc. » (Pierre Soulages, 1963).

Très longtemps, Soulages fait apparaître le noir en contraste, à côté du blanc ou de quelques touches de couleur. Puis peu à peu, il se consacre au noir, par différentes techniques. A partir de la fin des années 70, le noir devient prépondérant puis exclusif dans ses toiles.

« Mais c'est une couleur le noir ! C'est une couleur, une couleur très violente ! » (1976)

Il s'attache alors à en rendre la lumière, les nuances, les reflets, l'émotion que produit sa présence et ses différents aspects.


« J'aime l'autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. Son puissant pouvoir de contraste donne une présence intense à toutes les couleurs et lorsqu'il illumine les plus obscures, il leur confère une grandeur sombre. Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j'ignore, je vais à leur rencontre. »

Il invente un néologisme : « outrenoir » :

« Outrenoir pour dire : au-delà du noir une lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l'être devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ mental que celui du noir. »

On est parfois un peu perplexe devant ces déclarations très intellectualisées...

Et cependant, j'avoue que cette exposition m'a impressionnée.


Les toiles sont immenses, regroupées en compositions (diptyques, triptyques), la lumière qui les éclaire, intrinsèque au tableau et soigneusement disposée pour sa source externe, invite à regarder la toile en se déplaçant, pour la voir sous différents angles. Face à ces grandes toiles dans des espaces blancs, ouverts, on s'amuse à en percevoir les nuances, l'émotion des élans des traits, reliefs, creux que la lumière épouse, on se sent face à soi-même, grisé par tant de mystère et de liberté aussi, humble et grandi à la fois. Un moment intense et étonnant.


Je m'aperçois que depuis, quelque chose a changé dans mon regard : je ne verrai plus jamais le noir de la même façon...





Photos du net

3 commentaires:

Réverbères a dit…

Ce billet en est la preuve flagrante : du noir (des lettres) naît la lumière. En réalité, si le noir n'existait pas, il n'y aurait pas de lumière !

Yves a dit…

Belle émotion que tu nous entraînes à partager....moi non plus je ne suis pas ,tu le sais ,un fan de l'art abstrait.
Mais j'avoue que l'on ne peut rester insensible à la démarche de
Soulages...qui nous démontre ,s'il en était besoin,que le noir est une couleur ...même si les puristes disent le contraire.
Le noir est source de lumière et met en valeur sa composante externe.
Yves

Anonyme a dit…

Je sais bien qu'avec l'âge , on change, et je m'en aperçois moi-même, n'étant plus forcément dégouté ou troublé par des tableaux non réalistes.
Mais ne me parlez toujours pas de Beaubourg, voulu par Sa Majesté usurpatrice Pompidou au motif qu'il aimait l'art kontanponéomachinchose.
La première fois que j'y suis allé , je n'ai pas tout de suite réalisé que j'étais déjà en plein dedans, que je marchais dedans, si vous voulez une expression imagée.
Ce sont les manches à air de bateau (c'est bien ça ?) , qui me l'ont indiqué; puis a suivi le bâtiment , au propre comme au figuré : ferraille et verroterie.
Et vu d'avion, il est encore pire ;ce machin pompidolien apparait bleu-vif et rouge écarlate quand le soleil donne sur Paris.Pas une verrue , non, mais un corps étranger, pour sûr.
Tout comme les colonnes de l'autre Machin, et la pyramide du Louvre , on NE se demande d'ailleurs PLUS comment ces trucs extra-terrestres ont pu défigurer Paris.
Surtout quand on songe à quel point les bâtiments de France font chier les gens qui veulent changer une tuile de leur toiture et que ces trucs-là trônent en plein Paris ancien .
Oui, je reconnais que la tour Eiffel , on s'y est habituée et qu'elle ne défigure plus la capitale.
Mais enfin tout de même.
Le Hutin.