Depuis l'âge de seize ans, cela fait cinquante ans qu'Yves Borredon peint : sans relâche, avec passion. Passion pour Bernard Buffet, le maître admiré, dont les oeuvres lui parlent depuis son plus jeune âge. Passion car Yves ne fait pas les choses à moitié, a donné toute son énergie pour la peinture, pour transformer ce don indéniable, l'aptitude et le goût pour le dessin, en une maîtrise d'un art difficile, nécessitant une longue maturation. Passion car il y a mis de son coeur, y exprime ses états d'âme, tourments et inquiétudes, et aussi le plus beau de lui-même, ses émotions et sa générosité.La générosité de la peinture d'Yves Borredon, c'est ce qui m'a le plus frappé en découvrant ses tableaux, les plus récents, ses marines, les compositions de bateaux : le trait est ample, sûr, donne un mouvement, les couleurs sont abondantes, la lumière jaillit largement.
Le thème des bateaux fait l'objet de multiples toiles, et ils sont toujours nombreux, en groupe, sauf les bateaux abandonnés, cassés, qui sont solitaires (ou quelquefois à deux).
Je lis dans ces compositions de bateaux la joie de vivre, le rêve et l'évasion : ils sont stylisés, simplifiés, une coque elliptique, une voile triangulaire, ils flottent en groupe, les couleurs, vives, posées par touches comme par jeu, rendent l'ensemble léger et joyeux comme une chanson enfantine : « Maman les p'tits bateaux qui vont sur l'eau ont-ils des jambes ?.. »
Mais ils peuvent aussi être terribles : alignés et rapprochés, parallèles, comme un mur sur l'eau, ils portent toute l'angoisse et la souffrance de la dureté de la mer envers les marins, comme dans cette « composition au ciel rouge », à la mer noire, où les bateaux aux formes acérées ont perdu leur couleur, un tableau superbe, où l'interprétation est à son maximum, sans doute parmi mes préférés.
Loin aussi de la chanson joyeuse, les tableaux de carcasses abandonnées, bateaux solitaires, sont pleins de nostalgie et de compassion ; ils ne sont pas tout à fait tristes pourtant, j'y vois plutôt une réflexion, grave mais sereine, sur le temps qui passe.Mais revenons un peu en arrière, car le temps qui s'écoule a fait évoluer la peinture d'Yves Borredon, au fil des années de travail, de l'approche et la maîtrise de différents sujets et techniques, et bien sûr, plus inconsciemment sans doute mais profondément, selon son parcours de vie et son état d'esprit.
L'influence de l'admiration pour Bernard Buffet se fait sentir, à travers toute l'oeuvre d'Yves, par l'usage du trait noir marqué un peu fumé, mais pas seulement, surtout au début ; les premières années (1959-67 environ), la couleur est rare, les thèmes sombres : barreaux, corps nus tristes, à la tête penchée ou perdus dans l'immensité du décor, portraits graves, au regard soucieux même quand ce sont des clowns...
Quand la couleur surgit, elle est jetée comme un cri, une colère, et les titres des toiles sont éloquentes : « le Désespoir », « Vengeance », « l'Homme brûlant son âme » (1960)...
Mais peu à peu l'artiste cherche à évoluer, d'autres thèmes arrivent : les premiers bateaux (1964), et des papillons (1972-73), pour travailler la couleur par petites touches.
Une série de bateaux de 1984, barques ou petits cotres, est différente des autres et m'a intriguée : ils n'ont pas de voile, sont à terre, attachés, vus du dessus... Ils montrent leur fond, vide, et leur ombre, noire. Le ciel est gris, l'horizon net, barré, les couleurs rares ; le trait noir souligne chaque détail. J'y vois comme une impossibilité de s'évader, ou peut-être une envie de dominer le sujet ? J'aime cette série même si je la trouve très mélancolique.D'autres sujets me touchent moins, mais ils ont un intérêt d'étude : une série de bouteilles et flacons (1985) joue avec les formes, la transparence ; les structures cubiques (1988), particulièrement soignées, sont un beau travail de précision sur les lignes géométriques, les camaïeux de couleurs.
De 1990 à 1997, Yves peint une série d'aquarelles et de tableaux sur la ville où il demeure alors, Laon, en différents angles de la ville, à divers moments ou saisons. Les aquarelles sont remarquables par leur luminosité ; les tableaux, très élaborés, montrent une recherche précise, quasi impressionniste, sur la couleur et le traitement de la lumière sur la neige par exemple, si difficile à saisir et à rendre...

A partir de 2000, c'est la période Pornic, où le peintre s'est installé : les tableaux sont beaucoup de marines, paysages de Brière, bateaux colorés au port ou en mer, vieux gréements ou coques abandonnées...
La lumière est présente aussi dans les paysages de bord de mer, château de Pornic, marais salants, pêcheries sur fond bleu et or, ou ce « Sous-bois en automne » (2005) qui a ma préférence, tant il est lumineux et prête à rêver, ses branches déroulées comme des cheveux de fées...
Comme l'univers sombre et tourmenté des premières toiles semble loin ! A travers un parcours si riche, techniquement et humainement, l'artiste peut se permettre les sujets les plus variés, il est passé de l'ombre à la lumière, il semble avoir trouvé sa voie... et sa voix, peut-être, car Yves depuis quelques années chante aussi : mais ceci est une autre histoire...Catherine
mai 2008
Liste des tableaux :
1/ Composition les bateaux autour du château, 2008
2/ A marée basse, 1998-2004
3/ Composition au ciel rouge, 2006
4/ Carcasses de bateaux
5/ Le penseur
6/ Les mains aux barreaux, 1962
7/ Le désespoir, 1960
8/ Souvenir de mai 68, 1968
9/ La route, 1965
10/ Eglise de Tavaux, 1980
11/ Les capucines, 1985
12/ Petits bateaux à quai, 1984
13/ Structure cubique décroissante, 1988
14/ Portrait, 1971
15/ Portrait de Brassens, 1981
16/ D'après Toffoli, 1996
17/ LAON la porte d'Ardon, aquarelle, 1996
18/ Effet de lumière sur la cathédrale de Laon, 1991
19/ LAON La cathédrale sous la neige, 1991
20/ Pornic vu à ma manière
21/ Marais salants, 2005
22/ Pêcherie près de St Nazaire, 2006
23/ Sous-bois en automne, 2005
http://www.myspace.com/borredon
- Une page d'expo (marines) : cliquer sur "galerie virtuelle"
- Suite, sur Yves, ici : Yves Borredon, les couleurs de la vie, nouvelles toiles











